jeudi 25 septembre 2014

Billets-Edward Snowden prix Nobel alternatif


Edward Snowden prix Nobel alternatif

Grand honneur pour son "grand courage" : parce qu'il a révélé les abus de la très puissante NSA, le lanceur d'alerte reçoit le prix suédois Livelihood, qui recompense ceux qui améliorent la condition humaine. Retour sur l'itinéraire d'un "jeune hacker pressé".

En 2006, lorsque Edward J. Snowden a rejoint les rangs des virtuoses de l’informatique qui travaillent pour les agences de renseignement américaines, aucun employé n’avait endossé le rôle de “dissident” depuis un moment.

Mais alors que son travail à la CIA, puis pour le compte de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA), le laissait de plus en plus en proie au doute, la campagne menée par le gouvernement Obama pour lutter contre les fuites d’informations sensibles a entraîné la conversion de plusieurs salariés désabusés en “lanceurs d’alerte”.

Au lieu de quitter son emploi dans le renseignement, Snowden a choisi de suivre leur exemple et ses révélations pourraient bien être une conséquence spectaculaire et imprévue de la politique répressive du gouvernement.

Sa décision reflète peut-être aussi son incroyable ambition. En discutant avec ses amis et en suivant sa trace sur Internet, on découvre un jeune homme talentueux qui n’a pas fini le lycée, mais qui se vantait, en ligne, d’être courtisé par d’innombrables employeurs. “Les grands esprits n’ont pas besoin de l’université pour gagner en crédibilité : ils obtiennent ce qu’ils veulent et entrent discrètement dans l’Histoire”, a-t-il ainsi écrit à l’âge de 20 ans.

Snowden, aujourd’hui âgé de 31 ans et toujours en cavale, a étudié le mandarin, s’est intéressé aux arts martiaux, s’est déclaré bouddhiste et a même évoqué la Chine comme “une excellente option en terme de carrière”. Après avoir divulgué les documents secrets en sa possession, il a exprimé son admiration pour Bradley Manning, le jeune soldat aujourd’hui en procès pour avoir remis 700 000 documents confidentiels au site WikiLeaks, et pour Daniel Ellsberg, le célèbre lanceur d’alerte qui a diffusé les documents secrets du Pentagone sur la guerre du Vietnam en 1971. “Bradley Manning est l’archétype du lanceur d’alerte, soutient-il. Il est motivé par le bien public.”

Edward Snowden, jeune homme timide qui a grandi au sein de la contre-culture rebelle des geeks, a été inspiré non seulement par Manning mais aussi par les “dissidents” des agences où il a travaillé.

A la NSA, son dernier employeur, il y a eu Thomas A. Drake : après avoir été jugé en 2010 pour avoir divulgué des documents confidentiels, ce dernier continue à dénoncer les pratiques dignes de Big Brother de l’Agence nationale de sécurité américaine.

A la CIA, son employeur précédent, il y a eu John Kiriakou, condamné à trente mois de prison pour fuite d’informations sensibles. Une condamnation qu’il attribue à sa dénonciation du waterboarding [simulation de noyade], pratiqué lors des interrogatoires de l’agence américaine. Si l’objectif de Snowden était de s’attirer autant d’attention que ses prédécesseurs, il a réussi son coup. Le Congrès le considère comme un traître, le FBI a lancé une chasse à l’homme pour l’arrêter et il s’est attiré des sympathies diverses, dont celle du documentariste de gauche Michael Moore et de l’animateur radio ultraconservateur Glenn Beck.

La fascination d’Edward Snowden pour les ordinateurs remonte à ses années de lycée, près de Baltimore (Maryland). L’informatique est vite devenue son activité principale lorsqu’il a arrêté ses études, en seconde. Il avait un petit cercle d’amis qui, comme lui, étaient captivés par Internet et l’univers de l’animation japonaise. “C’était un geek parmi d’autres, explique un ancien ami. On consacrait notre temps aux jeux vidéo et à la japanimation. C’était à l’époque où les geeks n’étaient pas encore cool.”

Edward Snowden vivait avec sa mère Elizabeth, employée administrative dans un tribunal et divorcée en 2001 de son père Lonnie Snowden, officier de la Garde côtière américaine. Avec ses amis, il montait des ordinateurs à partir de pièces commandées sur Internet et ils avaient créé un site baptisé Ryuhana Press. Ce sont ces amis qui l’ont persuadé d’obtenir un certificat d’équivalence de fin d’études secondaires. “Il n’a pas eu besoin de réviser. Il s’est contenté de se présenter à l’examen, et il a réussi”, souligne un ancien ami.

  • Crise de conscience
En 2001, à 17 ans, Edward a adopté sur Internet le pseudonyme “The One True HOOHA”, abrégé en HOOHA sur le site Ars Technica, un forum pour amateurs de jeux vidéo, hackers et autres bidouilleurs informatiques. Les deux années suivantes, son activité sur Internet a essentiellement eu trait aux jeux vidéo. Il y abordait aussi son intérêt pour les arts martiaux et son mépris pour l’école. Sans grande assiduité, il a suivi des cours au Community College [établissement d’enseignement supérieur public] Anne Arundel, sans jamais obtenir de diplôme.

Fin 2003, il a annoncé qu’il rejoignait les rangs de l’armée. Il a suivi une formation pour entrer dans les forces spéciales, afin selon lui de “participer à la lutte pour libérer les populations opprimées” en Irak. Mais il a déclaré s’être cassé les jambes pendant un entraînement et il a été réformé quatre mois plus tard.

Il est rentré chez lui et est devenu agent de sécurité au centre des hautes études linguistiques de l’université du Maryland, qui entretient des liens étroits avec l’Agence nationale de sécurité, dont le siège est situé à 20 kilomètres de là.

Au milieu de l’année 2006, Edward a décroché un poste de technicien informatique à la CIA. Malgré ses lacunes académiques, il a obtenu une habilitation “secret défense” et une affectation convoitée à Genève sous couverture du département d’Etat.

Mavanee Anderson a travaillé avec lui de 2007 à début 2009 à Genève. Pour elle, il “traversait déjà une sorte de crise de conscience” à l’époque. “Je pense que toutes les personnes assez intelligentes pour faire le travail qui lui était confié et tous ceux qui sont en possession du type d’information auquel il avait accès ont forcément des moments de doute de ce genre”, explique-t-elle. Mavanee Anderson comprend ce qui a poussé Edward à révéler des secrets d’Etat, mais elle ajoute qu’elle “aurait aimé dire à Ed qu’il n’avait pas à assumer ce fardeau seul”.

  • “Je me suis endurci”
En 2009, Edward a rejoint la NSA à titre d’agent contractuel sur une base militaire au Japon. Il a avoué qu’il avait été déçu par Barack Obama, qui “a continué à développer les politiques qui auraient précisément dû être abandonnées”. “Je me suis endurci”, affirme le jeune homme.

En 2010, il s’est de nouveau tourné vers le forum Ars Technica après une longue absence. Cette fois, ses préoccupations étaient clairement politiques. “La société semble avoir développé une docilité inconditionnelle envers les espions, a-t-il écrit. En est-on arrivé là petit à petit, par un processus que nous aurions pu maîtriser ? Ou bien ce changement radical a-t-il été suffisamment instantané pour passer inaperçu à cause de la tendance généralisée de l’Etat au secret ?”

En mars 2012, Edward a fait un don de 250 dollars à la campagne présidentielle du candidat libertarien Ron Paul. Un mois plus tard, il a déménagé à Hawaï, selon le compte Twitter de sa petite amie, Lindsay Mills. Celle-ci l’appelle “E” et son “homme mystérieux”. Elle l’a rejoint là-bas en juin de la même année.

En mars 2013, le cabinet de conseil Booz Allen Hamilton a embauché Edward au poste d’administrateur système au sein du centre d’analyse opérationnelle des menaces de la NSA. En mai, il a demandé un arrêt maladie pour suivre un traitement contre l’épilepsie. Et le 20 mai, il est parti pour Hong Kong avec quatre ordinateurs et des copies numériques des documents secrets. Le lundi 10 juin, le cabinet Booz Allen Hamilton a licencié Edward, qualifiant de “choquante” sa décision de révéler des informations confidentielles.


Source courrierinternational.com

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