vendredi 21 février 2014

Billets-Nuit blanche à l'Elysée


Nuit blanche à l'Elysée

Ils sont deux, six, puis quatre, ou trois, autour du président. Des hommes, uniquement. Une drôle de réunion de travail, foutraque et improvisée, où des ombres passent et repassent, où les portes s'ouvrent et se ferment, comme dans un décor d'opérette. La nuit est tombée depuis longtemps sur le palais de l'Elysée. Au premier étage du « château », ce jeudi 9 janvier, les lumières restent allumées. Et tous affichent des mines fermées, de ces masques qu'on revêt dans les cérémonies funèbres ou lors des catastrophes nationales. Comme si ce soir, au-delà de la « crise » qui les réunit, les conseillers du chef de l'Etat avaient compris que le principal problème de François Hollande, c'était François Hollande lui-même. Et d'une certaine manière, eux aussi.

« L'amour secret du président », dira quelques heures plus tard la « une » de Closer en présentant Julie Gayet à la France entière. Le lendemain, dans les kiosques, des clichés ridiculiseront un chef de l'Etat coiffé d'un casque intégral censé déjouer la vigilance des paparazzis. Même si la rumeur de la publication des photos volées était déjà arrivée à leurs oreilles la semaine précédente, les conseillers du président n'ont pas pu anticiper l'affaire. Le magazine du groupe italien Mondadori avait préparé, pour détourner l'attention, une fausse couverture sur Vanessa Paradis. Aucun des communicants ne doute de la liaison avec l'actrice. Mais, à force d'entendre crier au loup, leur attention s'est un peu relâchée. Le leurre a fonctionné.


Il est 21 heures, et personne, à l'Elysée, parmi cet aréopage d'énarques cravatés et de conseillers appliqués, n'a encore été capable de récupérer le numéro funeste. Derrière le bureau du chef de l'Etat trône encore, sur la cheminée, la photo de la victoire à Tulle, le 6 mai 2012, « François et Valérie » chantant main dans la main La Vie en rose. Le secrétaire général de l'Elysée, Pierre-René Lemas, d'ordinaire si souriant, affiche ce soir une mine contrariée et surtout sidérée. Jamais cet ancien préfet de Corse, qui sur l'île avait essuyé des menaces du FLNC et vu sa préfecture mitraillée, n'aurait imaginé que le scoop d'un journal qu'il n'a jamais feuilleté, même chez le coiffeur, le retienne toute une nuit rue du Faubourg- Saint-Honoré.

  • Peu avant minuit, l’exemplaire de Closer est livré
Près de lui, Aquilino Morelle, qui se flatte de tutoyer le président et fait mine de ne jamais lire les mauvais « papiers », bien qu'il supervise la « com », s'agite pour trouver le magazine. Comme Christian Gravel, l'ancien homme de confiance de Manuel Valls, chargé lui aussi des relations avec les journalistes. Claude Sérillon, autre « expert » chargé de l'image du président (auquel on a toutefois interdit de s'exprimer depuis son arrivée, un an plus tôt, à l'Elysée, au prétexte que le légendaire et brillant communicant de François Mitterrand, Jacques Pilhan, « ne parlait jamais »), se tient debout, en retrait. Stéphane Ruet est aussi de la partie. Le photographe a signé avec Valérie Trierweiler l'album photo amoureux de la campagne de 2012 – le cliché qui leur fait face sur la cheminée, c'est le sien.
Même lui, l'ancien chasseur d'images de Sygma recruté par la présidence, l'ex-baroudeur qui « planquait » autrefois au pied du fort de Brégançon pour surprendre Jacques Chirac au réveil et connaît les manières de ses anciens confrères, a été rassuré par les SMS de la directrice de Closer, Laurence Pieau. Alors que l'hebdomadaire est déjà sous enveloppe dans les centres postaux partout en France, que des rédactions et des élus savent ce que les paparazzis ont réussi à saisir, que, dans l'après-midi, le président s'est fait raconter par quelques députés amis les grandes lignes – les grandes images, plutôt – du scoop sacrilège, l'Elysée attend.


Ce n'est qu'un peu avant minuit qu'un motard déboule dans la cour de l'Elysée. Il porte à Aquilino Morelle, qui s'impatiente sur le gravier, le numéro blasphématoire. Le conseiller s'est résolu à appeler son ami Manuel Valls, qui a lui-même téléphoné au préfet de police de Paris. Le président obligé de quémander le magazine people qui l'humilie auprès de ce ministre de l'intérieur plus populaire que lui !

  • Aucun reproche au président
Vingt fois, depuis un an et demi, son cercle de communicants est venu lui faire part de la « rumeur ». François Hollande a souri et changé de sujet devant les uns, nié devant d'autres. Le président, apparemment, veut croire que l'époque où François Mitterrand pouvait garder secrète pendant vingt ans l'existence d'un enfant n'est pas tout à fait terminée. Pas davantage cette nuit qu'auparavant, ses conseillers n'oseraient faire reproche de son imprudence au chef de l'Etat. Y songent-ils seulement ?
Depuis dix-huit mois, de toute façon, chaque fois qu'un cafouillage, qu'une polémique inutile, qu'un revirement politique vient écorner un peu plus la popularité du pouvoir socialiste, la petite cour des communicants pointe le doigt vers Matignon en levant les yeux au ciel. C'est là, disent-ils, qu'est le désordre, l'absence de sens politique, la faute. Jean-Marc Ayrault n'ignore pas que le travail interministériel est décousu, que les cabinets de ses ministres sont parfois bien novices.
C'est d'ailleurs pour cela qu'il a commandé en septembre à Alain Christnacht, un conseiller d'Etat passé par le cabinet de Lionel Jospin, un rapport qui recense tous les dysfonctionnements du gouvernement. Le document confidentiel a été transmis « pour information » à Sylvie Hubac, la directrice de cabinet du chef de l'Etat. « Un brûlot contre Matignon ! », ont aussitôt assuré aux journalistes les communicants de l'Elysée, après en avoir parcouru une copie. Dedans, pourtant, les critiques ne sont pas neuves : trop de ministres, trop de réunions interministérielles, des cabinets trop peuplés.

  • « Comportement exemplaire »
Ce jeudi soir, c'est pourtant bien à l'Elysée même que ça « dysfonctionne ». Et que François Hollande improvise cette étonnante réunion de crise nocturne dans son bureau. Tout ce qui arrive contrevient à la ligne que le candidat socialiste s'était fixée durant la campagne. Comment faire, quand il n'a jamais cessé, ces cinq dernières années, de reprocher à son adversaire, Nicolas Sarkozy, « cette confusion du privé et du public que les Français ne supportent plus » ? Dans sa célèbre anaphore, le 2 mai 2012, n'avait-il pas promis pour lui-même : « Moi, président, je ferai en sorte que mon comportement soit en chaque instant exemplaire » ? Il se voulait l'exact opposé de son prédécesseur, « ce président “m'as-tu vu” » qui transformait, cinglait-il, les Français en « voyeurs ».


Ils y pensent tous, évidemment. Mais tout haut, on ne s'indigne que contre Closer. Comment cette patronne people ose-t-elle ? On invoque toujours un improbable complot dans les situations trop gênantes. Rien de tout cela, pestent-ils, ne serait arrivé sous Nicolas Sarkozy. Ce soir, la petite cour réunie autour de François Hollande fait aussi semblant de croire qu'il s'agit d'une « affaire privée qui se règle en privé », comme le dira plus tard le président. C'est pourtant tout l'Elysée qui veille, à minuit passé, pour gérer le « cas Valérie ». Le seul homme venu de l'extérieur rejoindre l'équipe est un ami de la famille, Jean-Pierre Mignard, le parrain des enfants Hollande. L'avocat du président explique qu'il n'est pas question de porter plainte contre le magazine : si quelqu'un doit le faire, c'est Julie Gayet.
Pour le reste, Me Mignard se contente d'observer, à la dérobée, ces hommes empressés censés conseiller son ami chef de l'Etat. « Il ne faut pas qu'ils m'enferment », a souvent glissé le président à ses amis en évoquant ses collaborateurs. Moyennant quoi, il les consulte sans toujours les suivre, les contourne sans jamais les renvoyer, les déplace dans un organigramme dont les micromouvements restent indéchiffrables, même parmi ceux qui, à l'extérieur, parlent le plus couramment le « hollandais ». N'empêche : ils restent son meilleur public. Et c'est de ça qu'il a besoin ce soir.

  • Depuis l’été, « Valérie » ne tient plus tout
Il y a toujours des moments délicats dans la vie d'une cour, ces instants fugitifs où le pouvoir vacille et où il faut choisir le bon camp. Si l'air est lourd, cette nuit, c'est que, à quelques pas du bureau où se prépare un communiqué pour l'AFP, dans l'aile dite « de Madame », se trouve Valérie Trierweiler. Ils la connaissent bien. Certains, comme Stéphane Ruet, lui doivent même leur promotion. Ils l'ont accompagnée de leurs prévenances durant toute la campagne présidentielle. Et Dieu sait les efforts qu'ils ont faits pour lui plaire ! Ils craignent ses colères. A leurs postes d'observation, ils ont noté les premiers, avec cette fois un sens aigu de l'anticipation, les prémices de la disgrâce.
Depuis l'été, « Valérie » ne tient plus tout. Aquilino Morelle a croisé, un soir, bien tard, dans un couloir, l'ami de trente ans du président, Julien Dray : tiens, tiens, malgré les oukases de la journaliste, voilà cet ostracisé qui revient discuter avec François Hollande en passant par la grille du Coq de l'Elysée. Tant mieux, se sont-ils dit, il déteste Jean-Marc Ayrault… Le président a aussi convoqué par la grande porte l'ancien journaliste Claude Sérillon. Celui-là même qui recommandait dans une note que « Valérie » ne possède pas de bureau à l'Elysée. Avec un brin de perversité, François Hollande l'avait montrée à sa compagne outrée. Ils ont surtout noté, depuis septembre, cette manière que leur patron a de retirer sa main lorsqu'elle cherche à la saisir en public. Et quand elle a choisi de convier Ségolène Royal à la projection privée du film Yves Saint Laurent, en décembre, ils ont compris qu'elle cherchait à renouer avec la présidente de la région Poitou-Charentes, comme si elle avait enfin compris que sa jalousie était sans objet.

  • Beaucoup connaissent Julie Gayet
Parmi les socialistes, beaucoup connaissent Julie Gayet. Le vice-président chargé de la culture à la région Ile-de-France, Julien Dray, a partagé plusieurs Festivals de Cannes avec elle : l'actrice lui a même assuré qu'elle avait milité aux Jeunesses communistes révolutionnaires et porté la petite main jaune de SOS-Racisme, l'association qu'il a fondée. Le maire de Dijon, François Rebsamen, a dîné en sa compagnie lors des Rencontres cinématographiques de la cité bourguignonne. La comédienne a même accepté de tourner gracieusement pour Touria Benzari, une des collaboratrices dijonnaises de l'édile, dans un court-métrage, Rock'n Bled, suite d'un premier film nommé… Mariage blues.
Julie Gayet est aussi la fille de celui qu'au PS on appelle « Brice ». Depuis des années, les socialistes consultent ce professeur de chirurgie digestive pour leurs proches. Brice Gayet a d'ailleurs connu Aquilino Morelle au cabinet de Bernard Kouchner, et Jérôme Cahuzac est un ami de jeunesse : il a suivi ses études de médecine avec lui.
En attendant de savoir avec certitude où le vent tournera, le petit groupe des conseillers est parti dîner au restaurant. François Hollande, lui, cherche comment éviter le scandale qui couve. Il sait que l'humiliation planétaire qu'il inflige à sa compagne va lui valoir le pire. Il craint les éclats publics alors même qu'il a programmé, cinq jours plus tard, la conférence de presse qui doit lui permettre de reprendre la main. « Valérie » vient de faire un malaise. A 2 heures du matin, il appelle à la rescousse de vieux amis discrets.
Le premier coup de fil est pour Brigitte Taittinger, la directrice de la stratégie et du développement de Sciences Po et l'épouse de son ami Jean-Pierre Jouyet. Le couple présidentiel a partagé avec eux la soirée de Noël. L'ancienne présidente des parfums Annick Goutal est une femme, elle saura parler à « Valérie ». Puis, il téléphone à son conseiller santé, le professeur de neurologie Olivier Lyon-Caen. Lui aussi était au petit réveillon du 24 décembre organisé quinze jours plus tôt chez les Jouyet. Ancien conseiller de Lionel Jospin, le médecin est à la fois un politique et un tenant scrupuleux du secret médical.

  • A 5 heures :hospitalisation de Valérie Trierweiler
Ce sont eux qui vont se rendre à l'Elysée, où le président poursuit sa nuit blanche, pour organiser, à 5 heures du matin, l'hospitalisation de Valérie Trierweiler à la Pitié-Salpêtrière. La compagne, défaite, doit quitter le Palais, comme une discrète exfiltration qui ne dirait pas son nom. Seuls le directeur de l'hôpital, Serge Morel, le chef du service de psychiatrie, le professeur Roland Jouvent, et deux infirmières ont été mis dans la confidence. Le directeur de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, est tenu à l'écart. Paris dort encore lorsque Brigitte Taittinger conduit la compagne du président à l'hôpital, dans sa voiture. Valérie Trierweiler qui, dans le désordre du départ, avait oublié son sac et ses téléphones, a insisté pour qu'on remonte les lui chercher.
Dans cette nuit qui s'étire, les conseillers repassent dans leur tête ces photos du président, « shooté » à l'arrière d'un scooter en compagnie de ces deux gardes du corps qu'ils ont vus tant de fois au PS et dans le sillage du candidat. Ils savent confusément combien ces clichés lui ressemblent. Depuis toujours, François a aimé se faufiler entre les voitures, insaisissable. Premier secrétaire, c'est ainsi qu'il venait à Matignon rencontrer Lionel Jospin, en 1997. Cet homme qui cloisonne a gardé la conviction qu'au fond, avec un deux-roues, un portable et deux hommes de sécurité, il pouvait régler seul l'essentiel. En 2012, c'est sur un scooter qu'il dirigeait sa campagne, bien loin de la Rue de Solférino, où il ne passait jamais, mais aussi de son QG.

  • On ne sait jamais vraiment qui compte pour Hollande


Depuis qu'il est élu, le président continue à mener presque tout en direct et seul. « Je préfère le faire que le faire faire », dit-il souvent. Il garde pour lui le secret de nombreux rendez-vous. Malgré les promesses de ne pas se mêler de la vie de son parti, il a rencontré des candidats aux municipales et aux européennes. Seul Pierre-René Lemas sait qui il reçoit dans son bureau, au grand dam du reste des conseillers. Un ancien de la promotion Voltaire, Jean-Marc Janaillac, a montré au président la lettre d'un collaborateur assurant que le chef de l'Etat ne pourrait pas lui remettre en personne sa Légion d'honneur. « Appelle-moi directement, plutôt que de passer par eux », a glissé François Hollande avant de charger son secrétariat d'organiser la cérémonie pour son ancien condisciple.
On ne sait jamais vraiment qui compte pour Hollande, qui sont ses amis ou pas. Ce soir, au restaurant, une vague inquiétude les étreint de l'avoir vu si neutre, auscultant les aspects techniques du scandale comme s'il s'agissait d'un dossier. « J'ai les nerfs tout à fait froids », avait lâché le chef de l'Etat à la télévision, il y a un peu moins d'un an. Aucun n'a oublié comment, après la victoire, il a abandonné le précieux François Rebsamen et presque oublié Stéphane Le Foll, l'homme qui l'avait accompagné durant sa traversée du désert. « C'est ta différence avec Mitterrand », lui avait lâché Rebsamen après avoir constaté qu'il n'était pas du gouvernement. Que veut dire « fidèle », « ami », « proche » pour le président ?
Quatre jours plus tard, le 14 janvier, a été programmée la conférence de presse de rentrée si attendue où François Hollande doit annoncer son vaste plan d'aide aux entreprises. Ce doit être le début de son opération reconquête. Sur le fond, le plan a été bouclé sur les chapeaux de roue, dans un mélange de détermination générale et d'improvisation sur les détails, notamment sur les fameuses contreparties qui devront accompagner les cadeaux aux entreprises et dont personne, ni à l'Elysée ni à Bercy, n'est encore capable de dire ce qu'elles pourraient recouvrir. Sur la forme – mais qui s'en aperçoit ? –, le décor est brinquebalant. Le président s'agacera plus tard d'avoir dû « tenir pendant deux heures » la paroi gauche de son écritoire, arrangée à la hâte par une équipe de communicants amateurs. Sur le pupitre figure l'adresse @elysee-fr, qui renvoie en fait à un compte parodique de l'Elysée sur Twitter.

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Illustration Aurel pour "Le Monde" 

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