dimanche 2 février 2014

Billets-Les terriens sont trop nombreux


Les terriens sont trop nombreux

La croissance démographique, même ralentie, est inéluctable. Faut-il faire silence sur les difficultés qu'elle provoquera ?

Les médias mondiaux ont célébré symboliquement le 31 octobre 2011 la naissance du 7 milliardième terrien. Aux incertitudes de la statistique démographique près, qui sont considérables (quelques dizaines voire quelques centaines de millions d'individus en plus ou en moins) cette naissance aurait eu lieu dans un des pays où la densité est la plus forte, Inde ou Indonésie. A cette occasion ont été rappelées deux estimations importantes, provenant de l'ONU (United Nations Population Division) La croissance démographique, bien que se ralentissant, le fait moins vite que prévue. Ceci conduirait à une population mondiale d'au moins 10 milliards vers 2050. Le continent africain ressentirait bien moins que les autres les effets du ralentissement – que l'on désigne par le terme de transition démographique - si bien que la population y atteindrait 2,5 milliards à cette date, sinon davantage.

Nous n'allons pas présenter et moins encore discuter ces chiffres ici. A qui n'est pas un démographe professionnel, les sources recensées par Wikipedia, référencées ci-dessous, suffisent largement pour ce faire. Nous voudrions plutôt nous interroger sur les conséquences susceptibles d'en être tirées en termes de prospective sur l'avenir du monde, celui de la Terre-écosystème en général, et celui de l'humanité au sein de celle-ci.

Ces questions devraient être au cœur des préoccupations de ceux qui évoquent, à titre officiel ou bénévolement, la gouvernance mondiale – plus précisément les mesures susceptibles d'être adoptées par les gouvernements, soit de leur propre chef, soit à l'instigation des organisations internationales, ONU, FAO, OMS, notamment pour prévenir les difficultés à venir. Or on vient de constater que le dernier G20, bien que n'étant pas officiellement une organisation intergouvernementale, s'est borné à évoquer les spéculations sur les matières premières agricoles, sans proposer d'ailleurs aucune mesure susceptible d'empêcher leurs effets aggravants.

Les données actuelles, tant de la démographie que de l'économie et de la géopolitique, paraissent claires. Certes, un grand nombre d'arguments sont couramment évoqués pour atténuer le sens susceptible de leur être donné. Nous y reviendrons. Mais globalement, les chiffres mettant en relation la population et les ressources montrent qu'aujourd'hui, les 7 milliards d'humains sont déjà trop nombreux pour les ressources disponibles. Un à deux milliards d'humains vivent en dessous du seuil de pauvreté défini par l'équivalent d'1$ par jour. Cinq cent millions sont en état de famine chronique ou aigüe.

Certes les ressources, notamment agricoles, pourraient être d'une part augmentées, d'autre part mieux réparties. Mais l'augmentation supposerait des investissements considérables pouvant se traduire par la destruction des derniers milieux naturels. Quant à une meilleure répartition, elle supposerait que les habitants des pays riches acceptent de transférer vers les pays pauvres une grande partie des ressources qu'ils consomment. En pratique, c'est-à-dire au delà du discours, aucune de ces deux solutions n'a de chance d'être envisagée.

Sur le demi-siècle à venir, les perspectives ne devraient que s'aggraver. On ne perçoit pas, compte tenu, des connaissances actuelles, de progrès scientifique ou technique envisageable, tout au moins à l'échelle permettant de nourrir 10 à 12 milliards d'hommes. Les solutions étudiées en laboratoire peuvent être théoriquement séduisantes. Mais leur mise en œuvre au plan de continents entiers ne serait pas faisable dans des délais et à des coûts acceptables. Par ailleurs, compte tenu d'une raréfaction croissante des ressources et des peurs qu'elle suscitera, on peut douter que les mesures faisant appel au partage se mettent en place plus spontanément à l'avenir qu'aujourd'hui. Si partage il y a, il se fera par la contrainte, c'est-à-dire par la guerre et la conquête.
  • Diminuer les effectifs?
Une conclusion brutale devrait donc être tirée des considérations qui précèdent. Sans renoncer évidemment à l'augmentation de la production vivrière et aux transferts des pays riches vers les pays pauvres, il faudrait impérativement limiter la croissance de la population voire dès maintenant en diminuer les effectifs. Mais comment procéder? En théorie, même dans les pays qui n'assurent plus le renouvellement de leurs générations, comme l'Allemagne et la Russie, il devrait encore être possible de diminuer les naissances sans que la société ne s'effondre. Pendant un demi siècle cela se traduirait par une pyramide des âges déséquilibrée, avec un taux excessif de personnes âgées, mais à terme un équilibre se rétablirait, le nombre des productifs, même réduit, deviendrait suffisant, compte tenu notamment des progrès de productivité, pour entretenir la société.

Mais de telles mesures, comme l'a montré la politique courageuse de la Chine dite de l'enfant unique, sont très difficiles à appliquer et finissent par être détournées. De plus, beaucoup de sociétés sont confrontées à une surnatalité bien supérieure à celle de la Chine et seront encore moins qu'elle capables d'assurer une stabilisation sinon une réduction des naissances.

On doit mentionner aussi en ce domaine le poids des convictions politiques ou religieuses pour qui une forte natalité, une densité élevée de jeunes facilement mobilisables, reste une source de puissance au profit des pays qui en jouissent. Par conséquent la plupart des mesures visant à limiter les naissances sont refusées. C'est au contraire le vieux principe du "Croissez et multipliez vous" qui continue à s'appliquer, quelles qu'en soient les conséquences sur les écosystèmes et sur la survie de l'humanité.
  • Faire silence
La tradition nataliste, renforcée par des impératifs religieux, est si ancrée dans le monde que, même en Europe, il semble difficile d'évoquer sereinement les données que nous venons de rappeler ci-dessus. Une série d'arguments différents sont présentés pour affirmer que le problème que nous venons de résumer, soit ne se pose pas, soit doit être passé sous silence. Les uns sont scientifiques ou se donnent une apparence de scientificité. Les autres relèvent du domaine moral, parfois d'une agressivité mal dissimulée.

Le plus convaincant en apparence des arguments scientifiques est celui dit du précédent. Selon cet argument, il y a deux siècles, Malthus prédisait déjà l'insuffisance des ressources face au développement de la population. Or l'histoire l'a démenti. Il ne faudrait pas refaire l'erreur du célèbre économiste. Mais ce raisonnement ne tient pas. Il faut au contraire rappeler que nous ne sommes plus au temps de Malthus. Autrement dit, aucun événement encore insoupçonné ou insoupçonnable aujourd'hui ne viendra desserrer l'écart qui se resserre entre la croissance démographique et celle de la production.

Espérer qu'uns solution salvatrice apparaisse relève de la croyance au miracle. Au contraire, tous les indices disponibles font craindre le pire: c'est-à-dire que des facteurs aujourd'hui encore marginaux s'aggravent subitement. L'éventualité la plus probable serait à cet égard une accélération en chaîne du réchauffement climatique et de ses diverses conséquences destructrices.

Les arguments de type moraux conduisant à ne pas évoquer les conséquences de la croissance démographique sont bien plus acceptables et populaires. Ils séduisent un nombre considérable de personnes, quels que soient les niveaux de vie, les appartenances culturelles, les convictions philosophiques ou religieuses. Le plus convaincant de ces arguments est qu'il faut préférer un déni de réalité (refuser d'admettre que la croissance démographique pose de graves problèmes) à un réalisme pouvant conduire à opposer les humains les uns aux autres. Selon cette position, à supposer que l'on ne puisse rien faire pour éviter des conflits et catastrophes futures découlant de la surpopulation, il vaut mieux ne pas en parler. Ceci éviterait un risque immédiat tout aussi grand, tel que dresser les riches contre les pauvres ou les Blancs contre les Noirs. Il sera bien temps de prendre des mesures difficiles, se traduisant inévitablement par des affrontements, lorsque l'urgence l'imposera. Pourquoi sinon ne pas commencer par tuer tous les aïeuls?
  •  L'empathie
Dans une vision optimiste de la politique, on pourrait attribuer à une empathie à l'égard des plus pauvres ce refus d'accepter ce qu'un minimum d'esprit scientifique présente comme une évidence. L'empathie (c'est-à-dire la capacité de souffrir avec) semble quasiment inscrite dans les gènes, comme d'ailleurs son opposé, la défense forcenée des territoires et des privilèges. Il faut empêcher, dans un souci d'ailleurs égoïste de paix civile, que puisse se réveiller cette dernière au détriment de la première. A tous égards, mieux vaut l'empathie – même si elle reste gratuite, c'est-à-dire dans le cas abordé ici n'entraînant aucune augmentation significative des aides au tiers-monde.


Il est certain qu'une image comme celle ci-dessus peut être porteuse de deux sens au moins: l'attendrissement devant une petite famille bien innocente et l'exaspération à constater comment certaines sociétés, incapables d'assurer un minimum de contrôle des naissances, continuent à entraîner le monde dans la catastrophe démographique.

Chez ceux qui laisseront parler l'exaspération se réveilleront le racisme et le refus de l'étranger latent chez chacun d'entre nous. Il en découlera des conséquences immédiates plus graves que les conséquences différées d'un trop plein de populations africaines ou asiatiques. Mieux vaut alors censurer l'image et, en tous cas, faire le silence sur les problèmes de gouvernance mondiale globale qu'elle suggère. Nous ne la publions pour notre part ici qu'au terme d'une discussion proposée au lecteur, discussion qui serait susceptible d'atténuer ses effets négatifs, plutôt qu'en tête d'article, avant toute considération émolliente.

Que faire alors, dira-t-on, étudier ou ne pas étudier la croissance démographique et ses conséquences. Si l'on pense que des déterminismes profonds pilotent l'évolution de ce que nous appelons l'anthroptechnocène, mieux vaut, plutôt que se taire, étudier et discuter problèmes et remèdes possibles, tels du moins qu'ils apparaissent ici et maintenant, hic et nunc. Les capacités du système cognitif réparti que constituent les humains et leurs machines devraient s'en trouver accrues. Mais croire que le sort du monde en sera changé serait faire preuve d'un étrange optimisme.

Source Jean-Paul Baquiast

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