jeudi 26 décembre 2013

Billets-Pas d’amis, pas de crédit


Pas d’amis, pas de crédit

Des organismes de prêt recourent aux réseaux sociaux pour évaluer la solvabilité de leurs clients. Les défenseurs des consommateurs s’en inquiètent.

Ce n’est un secret pour personne : Facebook et d’autres réseaux sociaux glanent des informations sur leurs utilisateurs et les vendent à des entreprises qui s’en servent pour faire de la publicité ciblée. Mais certains organismes de crédit ont trouvé un nouvel usage aux données provenant de Facebook, Twitter et LinkedIn. Ils les passent au crible pour évaluer la solvabilité des demandeurs de prêts.

Parmi les établissements américains concernés figure LendUp, une société de San Francisco qui étudie les profils Facebook et Twitter des emprunteurs potentiels pour vérifier le nombre de leurs amis et la fréquence de leurs interactions. LendUp considère une vie sociale en ligne active comme un indicateur de stabilité. De son côté, Neo, une start-up de la Silicon Valley, examine la qualité et la quantité des contacts sur LinkedIn pour prévoir la rapidité avec laquelle un débiteur ayant perdu son emploi en trouvera un autre. Moven, dont le siège se trouve à New York, utilise également les données de Twitter, de Facebook et d’autres réseaux sociaux dans son processus d’attribution de prêts.

Plusieurs sociétés de prêt internationales emploient des méthodes similaires depuis un certain temps déjà. Lenddo, par exemple, qui accorde des crédits dans les pays en développement, rejette les dossiers de candidats qui comptent un mauvais payeur parmi leurs amis sur Facebook. Des entreprises comme Neo et LendUp s’adressent aux personnes ayant de faibles revenus, et qui souvent ne disposent pas de compte en banque ou dont la cote de crédit est faible.

Normalement, l’évaluation de la solvabilité repose sur des facteurs comme l’emploi, les ressources financières et la ponctualité des paiements pour les achats par carte de crédit. Mais ces établissements expliquent qu’en examinant des indicateurs plus subtils fondés sur les médias sociaux ils peuvent accepter des clients jugés à risque par les banques traditionnelles.

Selon les organisations de défense des consommateurs, cette nouvelle façon d’évaluer la fiabilité des emprunteurs est tellement peu encadrée par la réglementation que les candidats à un prêt peuvent faire l’objet de décisions injustes ou discriminatoires. “Concernant les données financières, c’est la loi de la jungle”, résume Jeff Chester, directeur du Centre pour la démocratie numérique (Center for Digital Democracy). “Il n’existe aucune règle.”

Employabilité. Autrement dit, il est impossible de dire si les sociétés qui vous évaluent en fonction de votre page Facebook vous jugent ou non de manière équitable. Le PDG de LendUp, Sasha Orloff, a assuré l’an dernier au magazine Time que des indicateurs comme une vie sociale en ligne active et un “réseau solide et géographiquement proche” permettaient de prévoir qu’un emprunteur rembourserait ses dettes.

Mais l’importance de ces informations peut être surestimée. “Pour que vous et moi nous nous considérions comme amis dans le monde réel, il faut que nous nous voyions souvent”, souligne Ashkan Soltani, un spécialiste des questions de vie privée et de l’économie comportementale. “Mais sur Facebook je vous ‘suivrai’ peut-être simplement parce que vous publiez des photos de chats amusantes.”

De même, le recours de Neo aux médias sociaux pose un problème. La société évalue l’employabilité d’une personne qui dépose une demande de prêt en se fondant sur la qualité de ses relations sur LinkedIn. Mais un profil LinkedIn ne révèle pas forcément l’ensemble de vos relations professionnelles.

Ces organismes de crédit risquent également de discriminer des candidats apparemment socialement indésirables. Le droit fédéral américain protège les consommateurs contre des pratiques de prêt fondées sur des critères comme la race, le sexe et l’orientation sexuelle. Mais rien n’est prévu pour les personnes impopulaires.

“Il y a lieu de s’interroger sur l’utilisation des informations personnelles pour faire le tri entre les clients de grande valeur et ceux qui ne valent pas la peine qu’on travaille avec eux”, prévient David Jacobs, conseiller pour la protection des consommateurs auprès du Centre pour la protection des données privées électroniques (Electronic Privacy Information Center). Même si la méthode est techniquement légale, elle peut constituer une forme de “discrimination numérique”, affirme-t-il, en référence à ces pratiques bancaires qui consistent à refuser les demandes de prêt émanant de quartiers pauvres ou dont la population est issue de minorités.

Un jeu dangereux. Neo, LendUp et Moven se refusent à tout commentaire. Jeff Stewart, le patron de Lenddo, société qui mène ses activités dans les pays en développement et qui n’est pas soumise au droit américain, défend le recours aux réseaux sociaux. Selon lui, le seul fait de permettre à des gens exclus du crédit d’y avoir enfin accès compense largement la possibilité que sa société puisse commettre des erreurs. “Nous sommes prêts à prendre des risques pour aider les gens, ajoute-t-il. Les organismes de crédit devraient profiter au mieux des nouvelles technologies pour pratiquer leur métier de manière responsable.”

Il n’empêche que de nouvelles mesures de protection des demandeurs de prêts s’imposent, affirment les organisations de défense des consommateurs, car ces nouvelles méthodes vont forcément se généraliser. Pour l’instant, les grandes banques sont circonspectes. Utiliser des données collectées sur Twitter ou Facebook “est un jeu dangereux”, commentait en février dans The Economist le responsable des réseaux sociaux chez Citibank.

“Je ne serais pas surpris que cela change, prédit toutefois Persis Yu, juriste au Centre national sur le droit des consommateurs (National Consumer Law Center). Je soupçonne les grandes banques d’attendre de voir comment ces sociétés de crédit se débrouillent.”

 Dessin de Luis F. Sanz paru dans El País, Madrid

Source Courrier International

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