dimanche 3 novembre 2013

Billets-Hervé Juvin «La Grande Séparation»


Hervé Juvin «La Grande Séparation»

« La solidarité ne peut exister que dans de véritables communautés ; la planète uniformisée et atomisée que Jacques Attali appelle de ses vœux serait un enfer dans lequel la cupidité anonyme règnerait sans limites. »
Après « Le Renversement du monde », Hervé Juvin publie un nouveau livre majeur : « La Grande Séparation ». Il y analyse le recul de la mondialisation, le retour des frontières, la montée des affirmations identitaires. Un essai brillant et documenté et pourtant aussi plaisant à lire qu’un roman.

Hervé Juvin vient de publier le troisième ouvrage d’une trilogie dont les deux premiers étaient intitulés L’Avènement du corps et Produire le monde ; cet ouvrage est intitulé La Grande Séparation et est une ode à la diversité du monde naturel en général et humain en particulier. Cet ouvrage est particulièrement bienvenu à un moment où les sociétés occidentales tendent à détruire le premier et à unifier le second.

Comment peut-on être de Guémené (*) en 2013 ?
C’est sur cette interrogation, qui peut surprendre, que s’ouvre ce livre dérangeant et important. En effet, comment peut-on se réclamer d’un terroir et d’une tribu en ces temps de nomadisme ? Comment peut-on préférer, parmi tous les terroirs magnifiques que compte notre planète, l’un d’entre eux en particulier et comment peut-on avoir besoin de cultiver des liens privilégiés avec les indigènes de ce terroir en ces temps d’individualisme obligatoire ? Contrairement à ce que disent en boucle les chantres de la mondialisation heureuse, l’enracinement dans une communauté n’est pas haine de l’autre mais il établit une distinction qui seule est à même de permettre la solidarité ; car, comme l’a bien compris le philosophe Jean-Claude Michéa, la solidarité ne peut exister que dans de véritables communautés ; la planète uniformisée et atomisée que Jacques Attali appelle de ses vœux serait un enfer dans lequel la cupidité anonyme règnerait sans limites.

Il est évident que la division de l’humanité en communautés dotées de leurs propres cultures et de leurs propres intérêts est susceptible de générer des conflits mais, comme l’a écrit Claude Lévi-Strauss, c’est le prix à payer pour maintenir la diversité humaine. Par ailleurs, l’argument des mondialistes qui affirme que la paix éternelle et universelle impose la création d’un Etat mondial ne vaut rien parce qu’un tel Etat supprimerait sans doute les guerres inter-étatiques mais non les guerres civiles, lesquelles sont les plus dures. En fait, l’unification mondialiste ne peut venir à bout du conflit, lequel est au cœur de notre nature. La suppression des frontières étatiques ne marque pas la fin des conflits de nature économique, sociale, religieuse ou ethnique et, quand les Etats historiques disparaissent, de nouvelles tribus se forment, en général sur des bases ethniques ou religieuses. L’organisation du monde sur la base d’Etats souverains telle que nous l’avons connue au cours des derniers siècles a permis une diminution importante de la mortalité guerrière par rapport aux périodes antérieures, comme l’a montré Jean Guilaine dans son livre intitulé Sur le sentier de la guerre.

Le Même et l’Autre
Une des caractéristiques principales de la civilisation occidentale réside dans son refus de l’Autre, dans sa volonté d’imposer la Mêmeté ; mais cette obsession de l’uniformisation est une autre forme du racisme, un racisme qui nie l’Autre et qui lui impose de se fondre dans le Même.
Le livre d’Hervé Juvin est un plaidoyer en faveur de l’Autre, de tous les Autres, un plaidoyer en faveur de la différence et de la pluralité. Ce livre, qui est consacré à la problématique essentielle du XXIe siècle, universalisme versus pluralité, est une vraie bouffée d’air frais et le signe d’un changement qu’il décrit. L’humanité a goûté au cosmopolitisme pendant quelques décennies et en a déjà fait le tour ; elle a constaté tout ce que cette idéologie avait de pervers. Hervé Juvin lève le voile sur ses fondements véritables qui sont tout sauf désintéressés : « La proclamation d’une ère post-nationale, les agressions organisées contre les nations européennes et les peuples du monde ont le même objectif : assurer à la révolution capitaliste la maîtrise d’un monde unique et d’une société planétaire d’individus à disposition. »

La grande séparation
Il y a deux façons d’envisager la grande séparation : celle des oligarques mondialistes, qui séparent les hommes verticalement – dirigeants de l’ordre libéral mondialisé d’une part, exécutants de l’autre, eux-mêmes séparés en sous-catégories plus ou moins éloignées de la caste dirigeante ; et il y a celle des partisans d’une anthropologie pluraliste, qui sépare horizontalement l’humanité en communautés « organiques ». La deuxième façon de séparer, qui est celle que promeut Hervé Juvin et qui participe de ce qu’on peut appeler la cause des peuples (il écrit : « Il faut inverser radicalement la proposition des droits de l’homme : les droits des peuples d’abord, comme la conférence d’Alger les avait affirmés en 1974, les droits de l’individu ensuite »), présente deux avantages : elle permet la pratique d’une vraie solidarité et la satisfaction de notre besoin d’identité. Quant à la première, elle permet de satisfaire l’égo de certains mais elle mène à l’anomie car, comme l’écrit Hervé Juvin : « L’anomie qui guette nos sociétés en voie de décomposition ethnique, morale et sociale rapide n’est pas un dommage collatéral de l’avènement de l’individu, du constructivisme juridique et de la primauté de l’économie. Elle en est une composante essentielle ». Elle mène aussi, du fait de l’affaissement des solidarités, à l’injustice et à la montée des inégalités, comme nous le constatons depuis trente ans.
Ces deux modes de séparation sont présents simultanément : d’un côté, les firmes transnationales sont de plus en plus puissantes, les organisations néo-libérales (OMC, FMI, Banque mondiale) et les oligarchies régionales qui leur sont liées continuent d’appliquer leur programme visant à l’éradication des Etats historiques, tout particulièrement en Europe où l’organisation de Bruxelles continue sa marche frénétique vers l’atomisation des peuples ; d’un autre côté, on constate une augmentation permanente du nombre des Etats et des résurgences de plus en plus fréquentes d’identités ethniques ou religieuses. Il y a aussi une renaissance des patriotismes traditionnels ; ainsi en Europe, le choc de la mondialisation imposée par Bruxelles a provoqué la naissance de révoltes patriotiques et anti-européistes qu’on ne croyait plus possibles depuis 1968.

Source polemia.com

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