vendredi 6 septembre 2013

Billets-Automates tweeteurs et dragueurs


Automates tweeteurs et dragueurs

Sur les réseaux sociaux, une foule de robots se font passer pour des militants, des journalistes ou des amoureux transis.

Depuis qu’Internet existe, des programmes robots, ou bots, tentent de se faire passer pour des êtres humains. Sur les chats, des robots [appelés chatbots] accueillent les utilisateurs qui entrent dans une salle de discussion en ligne et les expulsent lorsqu’ils se comportent mal. Plus fourbes, les robots de spam envoient à l’aveugle des courriels proposant des aubaines incroyables aux boursicoteurs ou d’obscurs comptes en banque au Nigeria. Les “robots bimbos”, ou bimbots, abreuvent les internautes de photos de femmes sculpturales pour les attirer dans des arnaques de travail à domicile ou vers des produits pharmaceutiques illégaux.Aujourd’hui vient le tour des robots sociaux. Ces imposteurs sont programmés pour tweeter et retweeter. Ils ont leurs petites excentricités, du bagout, et quantité d’anecdotes personnelles à vous raconter. Beaucoup sont connectés à des bases de données liées à l’actualité, ce qui leur permet de répéter des phrases capables de faire illusion auprès du public visé.

Desseins sournois
Ils fonctionnent selon des cycles de veille-sommeil, ce qui rend la supercherie encore plus difficile à repérer, leur activité ne suivant pas un schéma répétitif qui trahirait leur véritable nature. Certains robots sont même complétés par des profils Facebook, Reddit ou Foursquare générés par un logiciel de gestion d’identité. L’illusion est alors presque parfaite : ils laissent des traces dans le cyberespace à mesure qu’ils accumulent amis et abonnés partageant leurs opinions.
D’après les chercheurs, cette nouvelle catégorie de robots n’est pas seulement plus sophistiquée, elle vise également des objectifs plus ambitieux : il s’agit par exemple d’influencer des électeurs, d’orienter les cours de la Bourse, d’attaquer des gouvernements, et même de flirter avec des personnes réelles ou d’autres robots.
Les robots sociaux sillonnent Internet pour une multitude de raisons. Un développeur australien a mis au point un automate qui répond automatiquement aux tweets des climato-sceptiques avec des contre-arguments et des liens renvoyant à des études contredisant leur point de vue. Un ingénieur californien spécialisé en sécurité a programmé un robot capable d’obtenir des réservations au State Bird Provisions, un restaurant très prisé de San Francisco. Sur le web, n’importe qui peut s’acheter une armée de robots mercenaires pour 250 dollars [moins de 190 euros].
Pour certains, l’objectif est d’accroître leur popularité. Le mois dernier, des informaticiens de l’université fédérale d’Ouro Preto, au Brésil, ont révélé que Carina Santos, une journaliste comptant de nombreux abonnés sur Twitter, n’était pas une personne réelle mais un robot de leur création. Se fondant sur la diffusion de ses tweets, le site de mesure d’influence Twitalyzer a estimé que Carina Santos avait plus d’influence qu’Oprah Winfrey sur Internet.
D’autres robots ont des desseins plus sournois. En 2011, lors des élections législatives en Russie, des milliers de robots “dormants” créés plusieurs mois auparavant sur Twitter se sont soudainement mis à poster des centaines de messages par jour dans le but de noyer la voix des opposants au Kremlin. Selon des chercheurs, le gouvernement syrien aurait récemment mis en œuvre des techniques similaires.
Ces robots exploitent le secteur en pleine expansion des médias sociaux. L’année dernière, le nombre de comptes Twitter a atteint la barre des 500 millions. Certains chercheurs estiment qu’en moyenne seuls 35 % de ceux qui suivent un compte Twitter sont des personnes réelles. Plus de la moitié du trafic sur Internet est générée par des sources non humaines comme des robots ou d’autres types d’algorithmes. On estime que d’ici deux ans environ 10 % de l’activité sur les réseaux sociaux proviendra d’automates se faisant passer pour des êtres humains.

De l’amour de robot
Les sites de rencontres sont particulièrement propices à cette prolifération. Des escrocs n’hésitent pas à abuser les internautes solitaires pour les inciter à envoyer de l’argent à des prétendants virtuels ou les attirer vers des sites pornographiques payants. Christian Rudder, cofondateur et directeur d’OkCupid, explique que, après la refonte d’un site plus petit que sa société avait racheté, il a constaté une forte diminution du nombre de robots, mais également une baisse de 15 % de la fréquentation par des personnes réelles. Les messages aguicheurs et autres mentions “j’aime” postés automatiquement par les robots sur les pages des membres avaient en effet créé l’illusion d’une activité et d’une intimité sur le site, analyse-t-il. “Il y avait de l’amour dans l’air. De l’amour de robot.”
En 2010, des chercheurs de Truthy, un programme de l’université de l’Indiana qui traque les robots et les tendances sur Twitter, ont découvert un réseau de comptes étroitement liés qui envoyaient les mêmes messages et retweetaient ceux d’une poignée de comptes. Durant la campagne pour les dernières élections de mi-mandat aux Etats-Unis, deux comptes ont par exemple envoyé 20 000 tweets similaires renvoyant pour la plupart vers le site web de John Boehner, alors chef de la minorité républicaine à la Chambre des représentants. Les médias sociaux ne sont, pour l’essentiel, pas soumis aux lois sur le financement des campagnes et sur la transparence. Pour l’instant, la Commission électorale fédérale préfère ne pas s’aventurer sur ce terrain.
De leur côté, les robots progressent, annonce Tim Hwang, directeur scientifique de la Pacific Social Architecting Corporation, qui développe des robots et des technologies capables d’influencer les comportements sociaux. “Nous sommes convaincus que dans un futur proche des automates seront capables de rassembler des foules, d’ouvrir un compte en banque et d’écrire des lettres, déclare-t-il. De véritables humains de substitution.

Dessin de Walenta, Pologne
Source Courrier International

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