jeudi 12 février 2015

Billets-Clubs S.M sur les Campus Américains


Clubs S.M sur les Campus Américains

Les clubs sadomasos s'invitent sur les campus des Etats-Unis.
C'est la tendance du moment dans les grandes universités : les clubs SM prolifèrent. Leurs responsables affirment que leurs pratiques sont fondées sur le consentement mutuel, mais la frontière avec l'agression sexuelle est parfois floue.


Le bâtiment de la bibliothèque, sur le campus d'Harvard - Ernest Bludger/FlickR/CC

Harvard est l'université dont Maria (elle a demandé à apparaître sous un pseudonyme) rêvait depuis des années. Après des études dans un lycée de Nouvelle-Angleterre, dont elle est sortie première en terminale, elle est entrée à Harvard avec une moyenne de 4.0 [équivalent d'une mention TB au baccalauréat] et s'est inscrite en lettres. L'année dernière, elle a commencé à chercher des activités hors programme pour enrichir son expérience universitaire. Elle pouvait faire son choix parmi plus de 400 clubs pour étudiants. Maria en a choisi un, appelé Munch. Son but était de rencontrer des gens, d'explorer quelque chose de nouveau.
Maria est une jeune femme menue aux cheveux blond miel et aux yeux marrons. Ils se sont écarquillés à mesure qu'elle passait en revue certaines des spécialités qu'elle comptait approfondir pendant son temps libre : "Bondage [pratique sexuelle sadomasochiste dans laquelle un des partenaires est attaché], menottes, jeux avec la glace, etc."
Maria se définit plus comme une adepte de la soumission que comme une masochiste. "Mon truc, c'est de recevoir des ordres, ce genre de choses, explique-t-elle. Ce qui me plaît, surtout, c'est l'exhibitionnisme, les lieux semi-publics, les miroirs..." Outre les réunions éducatives sur le campus, les membres de Munch se rassemblent parfois en privé pour "jouer". Depuis qu'elle a adhéré à ce club, Maria a pu réaliser certains de ses fantasmes. "On m'a frappée avec une cravache, une ceinture, des cannes, des martinets... ce que je préfère, c'est le martinet."


  • Une culture en cours de banalisation
La popularité du roman Cinquante nuances de Grey [romance érotique et best-seller mondial de la Britannique E.L. James] a accéléré la banalisation de la culture SM, déjà tendance notamment dans nos meilleurs établissements d'enseignement supérieur. L'université Columbia a son club de bondage et SM, de même que l'université Tufts, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), Yale et l'université de Chicago. Brown, l'université de Pennsylvanie et Cornell ont accueilli des formateurs en bondage et SM pour des séminaires intitulés Le sexe coquin en liberté ou Le sexe coquin pour tous. Ces conservateurs qui depuis longtemps considèrent l'Ivy League [les huit plus grandes universités américaines] comme un repaire de dépravés n'avaient peut-être pas tort, finalement.
Mais certains jeunes membres de ces clubs s'aperçoivent qu'ils y apprennent plus de choses que prévu. Ils soulèvent notamment de vraies questions comme le consentement, la transparence, l'anonymat, la violence sexuelle, la culpabilité et l'innocence, le crime et le châtiment.
 "Sans danger, raisonnable, consensuel", tel est le mantra du milieu SM. Pourtant, il n'est pas rare que ces principes soient foulés aux pieds. Au cours des douze derniers mois, des centaines de personnes ont dénoncé les sévices dont elles ont été victimes au sein du milieu. Ces victimes sont principalement des femmes, et comme Anastasia Steele, la jeune héroïne de Cinquante nuances de Grey âgée de 22 ans, beaucoup d'entre elles sont jeunes, soumises et incapables de dire non.


  • Sans danger? Pas toujours
En décembre, Victoria (pseudo), une étudiante en lettres de 20 ans d'une université de l'Ivy League, a décidé de sécher ses révisions, de se maquiller plus que d'habitude et de se rendre toute seule à une réunion coquine dont elle avait entendu parler sur FetLife, un réseau social pour fétichistes. Victoria n'avait aucune expérience masochiste, mais elle se sentait attirée par ces pratiques depuis des années ; elle avait souvent des fantasmes de donjons, de situations de contrainte ou d'entrave, et elle se rappelait que les soirées en famille à Medieval Times [dîner spectacle à thématique médiévale] l'avaient excitée au plus haut point.
La réunion était très sympa. Victoria a eu des conversations intéressantes sur la neurobiologie et la religion, et, bien entendu, sur les activités sadomasos. La soirée était sur le point de se terminer quand un homme est entré. Elle le connaissait : il avait essayé de fonder un club SM sur son campus quelques années auparavant. Eric avait le teint cireux et les cheveux tirés en arrière, et il portait son téléphone mobile à la ceinture.
Une semaine plus tard, les deux étudiants se sont rendus à une "soirée jeux". Après avoir manifesté certaines réticences, Victoria a accepté de participer, en définissant des safe words [mots permettant d'indiquer au partenaire qu'il va trop loin]. Mais une fois qu'ils se sont retrouvés elle et lui dans un coin, raconte-t-elle, Eric lui a mis un couteau sous la gorge et a commencé à l'assaillir. Victoria était perturbée, mais elle ne pouvait s'empêcher de douter d'elle-même. Il n'y avait peut-être pas de quoi s'inquiéter.
Le lendemain, quand Eric l'a invitée à lui envoyer un courriel exposant les faits et les décrivant comme quelque chose de consensuel, elle s'est exécutée. "A l'époque, j'avais l'impression d'avoir affaire à des pratiques normales, explique-t-elle. Maintenant, il me paraît évident qu'il préparait sa défense".


  • Prise de conscience
Par définition, le milieu SM peut être violent. La contrainte physique et psychologique est au cœur de l'expérience érotique sadomasochiste. Résultat, l'agression sexuelle peut s'avérer difficile à définir et à prouver. Les intéressés paraissent de plus en plus conscients du problème et, depuis un an, un débat sur cette question agite la communauté fétichiste, particulièrement soudée.
"Nous sommes attachés à l'idée que l'on peut dire non à tout", commente Holli, l'un des dirigeants du club SM de l'université Columbia baptisé Conversion Virium. "Beaucoup de jeunes sans expérience viennent nous trouver pour se faire conseiller et être introduits dans le milieu. Bon nombre d'entre eux deviennent des proies faciles dans les 'soirées jeux'. Parfois, les jeunes aiment dire oui, oui, oui à tous ceux qu'ils rencontrent lors d'une fête ou d'un événement fétichiste, mais si ce oui signifie 'j'hésite un peu', les limites entre refus et consentement commencent à se brouiller."
Samantha Berstler, une étudiante à Harvard qui a étudié ce milieu, soutient Conversio Virium, mais conteste la volonté du club de recruter des membres en dehors de l'université. "Pourquoi ne pas mettre carrément une enseigne lumineuse sur la porte qui dirait : ‘De jeunes étudiants nubiles et vulnérables vous attendent, venez abuser d'eux' ?" s'interroge-t-elle.
Pour Munch, le club SM de Harvard, le consentement est primordial, assure son directeur qui demande à être cité sous le nom de Michael. L'université a apporté à ce club son soutien officiel, pourvu qu'il adopte des mesures éducatives permettant de faire face aux sévices.
Michael espère que Munch jouera un rôle de chef de file dans des débats plus larges sur le campus à propos des sévices sexuels et qu'il saura porter la bonne parole du consentement parmi les jeunes aux pratiques sexuelles plus classiques.


 Source Courrier international

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