jeudi 8 novembre 2012

Infos santé-Dépistage du cancer du sein


Dépistage du cancer du sein

Vies sauvées d’un côté, procédures lourdes et agressives probablement inutiles de l’autre, la bataille sur le dépistage du cancer par mammographie est un sujet chaud depuis quelques années. Un groupe de spécialistes britanniques apporte aujourd’hui une pierre importante à l’édifice  en chiffrant bénéfices et risques. En prônant également une meilleure information des femmes.

L’article de ‘The Lancet’ ne va pas passer inaperçu, aussi bien chez les tenants que chez les opposants au dépistage. On a vu, ces dernières années, monter des critiques face aux campagnes de dépistage à travers les divers pays occidentaux. Ces critiques mettaient en avant le risque de surdiagnostic, c’est-à-dire de déceler une tumeur qui n’aurait sans doute jamais fait parler d’elle et lui appliquer, néanmoins, un traitement agressif.
Une définition différente de celle du ‘faux-positif- qui conduit à conclure à la présence d’une tumeur maligne alors, que, de fait, il ne s’agit pas de cela.
Les chiffres concernant ce surdiagnostic varient selon les études On a même avancé des chiffres allant jusqu’à 76 %.
Les analyses sereines estiment ce  surdiagnostic entre 4 et 12 % environ.
Cela suffit-il pour remettre en question la politique du dépistage systématique proposé aux femmes de 50 à 74 ans avec une périodicité biennale ?
Certains le pensent et réclament la fin de cette politique.
Mais il semble que ni les pouvoirs publics, ni les femmes n’aient envie de voir disparaitre un dépistage mis en place dans tous les pays occidentaux et qui permet, à partir de procédures définies strictement d’utiliser des appareils homologués, qui impose une double, voire une triple, lecture des clichés et qui est pris en charge intégralement par l’Assurance-maladie.
Il faut cependant nuancer un peu les choses. Le taux d’adhésion reste encore en deçà des espérances, dépassant à peine les 50 % sur le territoire national.
Et le bénéfice annoncé, c’est-à-dire la réduction de la mortalité liée à ce dépistage, a longtemps été annoncé comme atteignant 30 % alors que rien ne venait étayer ces données.
L’étude du Lancet, qui est un résumé du rapport d’un groupe d’experts britanniques permet de mettre des chiffres face à certaines interrogations.
Précision importante, ces experts épidémiologistes, biostatisticiens ou spécialistes du cancer du sein n’ont jamais publié de travaux sur le dépistage du cancer du sein et sont donc, a priori, supposés ne défendre aucune chapelle.

  • Evaluer bénéfices et surdiagnostic

Pour cela le groupe s’est intéressé à la situation anglaise : un dépistage qui concerne les femmes de 50 à 70 ans, dépistées tous les trois ans.
Leur objectif était de mesurer le seul critère important en termes d’efficacité du dépistage : la réduction de la mortalité.
Mais il faut aussi mesurer le ‘prix à payer’ pour atteindre un tel but, c’est-à-dire le surdiagnostic.
Ils se sont donc penchés sur onze études dites ‘randomisées’ dans lesquelles on comparait le destin de femmes ayant participé au programme de dépistage à celui de femmes n’ayant pas été incluses dans ce type de programme.
Les études anglaises, suédoises, canadiennes, américaines et écossaise, avaient des méthodologies qui pouvaient varier de façon importante même si le but et la définition des essais étaient les mêmes.
Finalement l’étude écossaise a été écartée de l’analyse pour des raisons de méthodologie.
Les experts voulaient voir quelle était l’évolution de la mortalité dans la période de 10 à 15 ans suivant le dépistage, période retenue par les principales grandes études sur ce sujet.
Il ressort de leur travail que le risque relatif  de mourir d’un cancer du sein était inférieur de 20 % pour celles qui avaient été dépistées par rapport à celles qui ne l’avaient pas été.
Pour les habitués des articles scientifiques cela se traduit dans la méta-analyse par :
RR : 0,80 ( IC95% :0,73-0,89)
Comment estimer le bénéfice absolu, c’est-à-dire le nombre de vies sauvées par rapport au nombre de femmes examinées.
C’est un exercice périlleux et sujet à contestation, reconnait le groupe d’experts.
Ils ont considéré la période 55-79 ans, partant du principe de l’absence de bénéfice dans les 5 premières années suivant le dépistage et la continuation d’un bénéfice dix ans après la dernière convocation au dépistage, 70 ans en Grande-Bretagne, je le rappelle.
De leurs savants calculs il apparait que pour dix mille femmes dépistées, on prévient 43 décès par cancer du sein,
Qu’en est-il de la question tout aussi importante du surdiagnostic ?
Bref rappel : on parle de lésions cancéreuses découvertes à l’occasion du dépistage mais qui ne se seraient probablement jamais manifestées. La femme décédera de toute autre cause qu’un cancer du sein.
Pour se faire une opinion, les experts ont travaillé sur trois études, deux canadiennes et une suédoise.
Ils estiment ce risque de surdiagnostic entre 10,7 % et 19 %…
Comment cela se traduit-il dans l’absolu  Pour dix mille femmes invitées à suivre le programme de dépistage pendant 20 ans, on estime qu’on aura un surdiagnostic chez 129 d’entre elles.

  • Traiter ou ne pas traiter ?

Ce surdiagnostic entraine évidemment la nécessité de faire des biopsies et de mettre en œuvre un traitement chirurgical accompagné de radiothérapie et, parfois, une chimiothérapie. Les effets secondaires et les séquelles de ces diverses thérapeutiques ne sont pas anodines.
Cela peut paraître extrêmement agressif si on part du postulat que ces tumeurs n’auraient jamais fait parler d’elles.
Mais le problème c’est qu’on ne dispose pas encore d’outils, de techniques d’imagerie, de tests capables d’indiquer au médecin et à la femme que cette masse cancéreuse vue à la mammographie n’évoluera pas.
L’attitude à adopter est donc loin d’être évidente.
Prenons un exemple très concret et souvent rencontré dans les mammographies de dépistage : le cancer intracanalaire in situ ou CCIS (DCIS en anglais).
Ce cancer se développe à l’intérieur des canaux galactophores, ceux qui conduisent le lait au mamelon
‘In situ’, signifie que les cellules cancéreuses se sont développées aux dépens de la partie superficielle des canaux et n’ont pas atteint la zone cruciale et dangereuse appelée membrane basale. Si cette zone est franchie, les cellules cancéreuses sont au contact des vaisseaux sanguins et peuvent donc disséminer.
La difficulté c’est que certains de ces cancers in situ peuvent dépasser cette zone fatidique et devenir infiltrants et on n’a pas de réels moyens de le prévoir.
Des études ont montré que si on fait un geste simple, en ‘nettoyant’ ces cellules cancéreuses in situ, le risque de rechute était quand même de 19 %.
Traiter, ne pas traiter ? En l’état actuel, les outils de décision manquent cruellement.

  • Relatif et absolu

Quelles conclusions tirer de ce travail qui, répétons-le, est une méta-analyse de travaux déjà publiés ?
En termes de bénéfices dépister 10 000 femmes permet de prévenir 43 décès par cancer du sein.
En termes de surdiagnostic : dépister 10 000 femmes conduira à 129 surdiagnostics.
On peut donc dire qu’on évite un décès au prix de trois surdiagnostics.
Les auteurs estiment que, ramené à l’échelon individuel, ce risque de surdiagnostic est à peine supérieur à 1 % (129/10000). Rappelons encore une fois que ces surdiagnostics ne correspondent pas à des erreurs ou des fautes médicales.
On s’aperçoit, à la lumière des polémiques actuelles, qu’on manque encore d’évaluations satisfaisantes, notamment du suivi des femmes ayant participé à ces programmes de dépistage dans les 10 ans qui suivent leur sortie du programme.
Mais cette étude britannique montre aussi que le dépistage apporte des bénéfices en termes de réduction de la mortalité par cancer du sein.
Le défi, maintenant, c’est e fournir les informations les plus claires possibles aux femmes, avec des données et non pas des  slogans.
Si on se réfère à ce travail on peut parfaitement dire  et écrire  ce que représente en bénéfice et en surdiagnostic un tel dépistage, à la fois en terme de population et de risque individuel.
Informer en amont, de façon précise, avec des valeurs relatives et des valeurs absolues, des pourcentages mais aussi combien cela représente de cas pour 1000 ou 10000 personnes dépistées.
Le dépistage du cancer du sein par mammographie n’est sûrement pas parfait et il est normal qu’il soit critiqué et remis en question.
Mais s’il disparait, que va-t-il se passer ? Il n’y aura plus de contraintes, telles la double lecture. N’y a-t-il pas un risque de voir se créer une différence d’accès au dépistage individuel ? Certains radiologues, très minoritaires, certes, mais ayant de bonnes relations, laissent penser qu’ils sont les seuls à avoir des équipements performants.
La tentation de voir des femmes devoir dépenser beaucoup d’argent dans des examens dont rien ne prouve qu’ils seront vus par au moins deux spécialistes n’est pas réjouissante.
Il semble donc utile de laisser en place un dispositif qui permet un accès à chacune sans avoir à engager de dépenses.
Il semble urgent que le médecin de famille soit impliqué dans ce dépistage, tenu au courant des dates et des résultats.
Enfin il est fondamental que les femmes et leur médecin aient des informations solides, étayées, actualisées sur les bénéfices mais aussi les risques de ces dépistages, notamment en termes de surdiagnostic.
Loin des slogans, des imprécations, mais loin aussi des campagnes parfois pas toujours très claires, elles pourront donc décider d’entrer ou non dans ces programmes de dépistage systématique.
Et l’arrivée de tests génomiques, permettant de donner des probabilités d’évolution d’une tumeur, devrait permettre d’affiner les diagnostics et d’éviter un grand nombre de traitements inutiles.

Référence de l’étude:

Independent UK Panel on Breast Cancer Screening
The benefits and harms of breast cancer screening: an independent review
The Lancet. Published online October 30, 2012 dx.doi.org/10.1016/S0140-736 (12)61611-0


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